David Soren est auteur, cinéaste, illustrateur et scénarimagiste qui vit avec la maladie de Crohn depuis son jeune âge.
Le Canada détient l’un des taux de maladies inflammatoires de l’intestin (MII) pédiatriques les plus élevés au monde. Alors qu’un nombre croissant d’enfants et de familles sont confrontés à un diagnostic de maladie de Crohn ou de colite ulcéreuse, des récits comme celui de David contribuent à mieux faire comprendre les réalités de la vie avec une maladie invisible.
Invisible : The (Sort of) True Story of Me and My Hidden Disease est un roman pour les jeunes, rempli d’illustrations, d’humour et d’émotion. Inspiré par ses propres expériences avec la maladie de Crohn quand il était jeune, le livre suit J.J. Sugar, un enfant de huit ans et artiste en herbe qui, après de nombreux examens, reçoit un diagnostic de maladie de Crohn. Dès ce moment, il rencontre Norm, une « créature géante, sarcastique et vêtue de cuir » — l’incarnation pas si invisible de sa maladie chronique, bien décidée à gâcher sa vie.
À l’occasion du Mois de la sensibilisation à la maladie de Crohn et à la colite, nous nous sommes entretenus avec David au sujet de son nouveau livre, de ce qui l’a inspiré à raconter cette histoire vraie (en quelque sorte) et ce que signifie pour lui le fait d’être « jeune et courageux avec une MII ».
- Invisible est décrit comme une vraie histoire « en quelque sorte ». Qu’est-ce qui vous a inspiré à transformer votre expérience de la maladie de Crohn en une fiction avec un personnage comme J.J. Sugar et son monstre, Norm?
Au fil des ans, j’ai tenté à de nombreuses reprises — et essuyé de nombreux échecs — de trouver comment raconter cette histoire. Était-ce des mémoires? Une fiction? D’autres personnes pouvaient-elles s’identifier avec mon expérience de la maladie de Crohn? Étais-je même prêt à livrer cette partie de moi au monde? J’ai griffonné des dizaines d’idées avant de les abandonner. Puis j’ai eu une révélation… La clé, c’était de transformer ma maladie en personnage! Un motard agaçant, fauteur de troubles, venu de mes entrailles et déterminé à me pourrir la vie! L’histoire est née de la relation que J.J. développe avec sa maladie — un parcours qui passe du mépris mutuel à quelque chose de plus nuancé et de plus évolué. Cela m’a permis de transformer mon expérience en quelque chose de plus universel… et de bien plus amusant à écrire!
- Pourquoi avez-vous choisi de dépeindre la maladie de Crohn comme un personnage — Norm, le monstre motard? Qu’est-ce qu’il représente pour vous?
Mon père avait une moto quand j’étais enfant. Elle faisait du bruit et était bien désagréable; il m’emmenait faire des balades qui me retournaient littéralement l’estomac. C’était la métaphore parfaite pour Norm. Je n’arrivais pas à me défaire de l’image de ma maladie conduisant une moto, moi coincé dans la nacelle latérale, cramponné pour sauver ma peau, pendant qu’elle lève les bras en l’air, menaçant de me faire sortir de la route. Mon parcours (et celui de J.J.) consiste à trouver le courage de saisir le guidon… et de repousser le diable dans la nacelle latérale.
- Comment l’écriture du roman vous a-t-elle aidé à faire le point sur votre propre parcours avec une MII?
Tout a commencé comme un acte de revanche — une façon de faire rire les gens de ma maladie. Mais enfiler la veste en cuir de Norm m’a forcé à me voir de « l’autre côté ». J’ai arrêté de me moquer de ma maladie et j’ai commencé à essayer de la comprendre. Me détestait-elle? Prenait-elle plaisir à chaque seconde de souffrance qu’elle m’infligeait? Voulait-elle vraiment que je souffre? Y avait-il une part de mon rêve qu’elle pouvait supporter? En me voyant à travers le regard de Norm, j’ai fini par admettre ce que je refusais de reconnaître : que je le veuille ou non, nous sommes dans le même bateau.
- Qu’espérez-vous que les jeunes lecteurs — en particulier ceux qui vivent avec une maladie invisible — retiennent de l’histoire de J.J.?
J’espère que ce livre leur permettra d’entamer des dialogues et de briser la glace. Beaucoup d’entre nous gardent un jardin secret. Ce comportement commence souvent dès l’enfance. Il naît du désir de s’intégrer, de paraître « normal ». Il m’était pratique de pouvoir « filtrer » les personnes qui étaient au courant de ma maladie et celles qui ne l’étaient pas. Mais en même temps, je gardais cachée une grande part de moi-même. J’ai écrit ce livre dans l’espoir d’aider d’autres personnes à franchir plus rapidement l’étape que j’ai personellement mis du temps à franchir — pour qu’elles ne passent pas autant de temps à cacher la partie la plus importante d’elles-mêmes.
- Vous avez travaillé dans le domaine du film d’animation pendant des années. Qu’est-ce qui vous a décidé à raconter cette histoire pour un public de jeunes au lieu de le faire à l’aide d’un film, ou d’une B.D.?
J’avais trop de choses à dire sur la vie avec un handicap invisible pour en faire une bande dessinée, alors j’ai décidé d’en faire un roman pour les jeunes, que j’ai écrit et illustré moi-même. J’ai mis ma carrière dans l’animation entre parenthèses pendant six mois pour m’y consacrer pleinement. Pendant tout ce temps, j’ai eu peur que personne ne veuille le publier. Mais le jour où j’ai envoyé le manuscrit, une éditrice de chez Penguin l’a lu pendant la nuit et m’a proposé un contrat pour deux livres! La suite, intitulée Visible, sortira à l’automne 2026!
- Pouvez-vous nous expliquer à quoi ça ressemble de grandir avec la maladie de Crohn au Canada? Quels ont été certains des défis les plus importants auxquels vous avez été confronté en tant qu’adolescent?
Ma mère a la maladie de Crohn. À part elle, je ne connaissais personne atteint d’une MII quand j’étais jeune. Je me sentais très isolé. C’était difficile d’en parler aux autres, car la réponse était toujours : « Qu’est-ce que c’est que ça? » Quand j’essayais d’expliquer que j’avais un problème intestinal et que je décrivais les symptômes, les enfants étaient dégoûtés. Il était donc plus facile de garder ça pour moi.
- Vous êtes-vous senti isolé ou mal compris à certains moments parce que votre maladie était invisible? Comment y avez-vous fait face?
Oui, surtout quand je ne me sentais pas bien. Ou quand les autres enfants faisaient des choses que je ne pouvais pas faire : manger certains aliments, pratiquer des sports agressifs, ou quand je passais la nuit chez des amis… il me fallait souvent plusieurs jours pour récupérer. Je trouvais des excuses pour éviter ces situations plutôt que d’avouer la vérité. Heureusement, je dessinais très bien, alors je mettais l’accent sur ce que je savais faire; ça me permettait de détourner l’attention sur le côté que je ne voulais pas montrer aux autres. C’était une solution rapide. Mais cette manière de faire a fini par me causer plus de tort que de bien à long terme et m’a conduit à me sentir plus isolé et seul que nécessaire.
- Avez-vous déjà ressenti une pression pour cacher votre maladie à vos amis ou vos camarades de classe, comme le fait J.J. dans le livre?
Pendant l’adolescence, la pression venait surtout de l’intérieur, plus que de l’extérieur. Le but de l’école secondaire est de s’intégrer. C’est donc une période difficile pour partager quoi que ce soit qui pourrait nous faire paraître vulnérable. En tant qu’adultes, nous comprenons que la vulnérabilité est une force, mais la plupart des enfants et des adolescents n’ont pas encore forgé cet état d’esprit. Ils ne se sentent pas en sécurité pour partager leurs insécurités. Parfois, c’est justifié, et parfois nous amplifions mentalement les choses et les rendons pires qu’elles ne le sont réellement.
- Comment votre famille vous a-t-elle soutenu pendant votre diagnostic et votre traitement?
Le livre reflète assez fidèlement le soutien de ma famille. Ma mère était ma « Crohnette ». La plupart des obstacles médicaux que je rencontrais, elle les avait déjà vécus. Mon père était travailleur social et très doué pour aider à surmonter les difficultés émotionnelles. Il avait aussi un merveilleux sens de l’absurde. Mon frère cadet n’avait pas de problèmes de santé, mais devait jongler entre essayer de me soutenir et veiller à ce que ses propres besoins soient satisfaits. Nous formions notre propre groupe de soutien.
- Quel rôle ont joué la créativité et le dessin pour vous aider à gérer votre maladie en tant qu’enfant?
Le dessin et l’écriture étaient mes échappatoires. Je tombais dans un état de concentration totale et j’oubliais mes soucis pendant un moment en inventant d’autres mondes et personnages. Je terminais un dessin ou une histoire et je me sentais bien dans ma peau. C’était merveilleux. Et ça l’est encore.
- Quel message lanceriez-vous aux enfants qui viennent de recevoir un diagnostic de maladie de Crohn ou de colite?
Bienvenue au club! Personne n’a choisi d’être ici. Vous n’avez rien fait de mal. Vous n’êtes pas seul. Vous venez de devenir une personne beaucoup plus intéressante!
- Que signifie pour vous « Jeunes et courageux avec une MII »?
Tout jeune qui doit affronter une MII est mon héros! Il faut être incroyablement courageux pour vivre avec tant de douleurs, de craintes, de tristesse et de rage. Assez courageux pour endurer tous les rendez-vous, les tests, les traitements et les interventions chirurgicales. Avoir le cran d’admettre d’avoir peur et d’avoir besoin de soutien. Et avoir aussi assez de cran pour rester positif et trouver de l’humour dans cette obscurité. Si vous choisissez de raconter votre histoire en sachant tout cela, alors je dirais que vous êtes le plus courageux d’entre tous!
- Comment les adolescents peuvent-ils trouver la force et la confiance lorsqu’ils se sentent dépassés par leurs symptômes ou leurs traitements?
La chose la plus importante est de faire sortir vos émotions. Dites ce que vous ressentez à un membre de votre famille ou à un ami proche. Les thérapeutes et les groupes de soutien peuvent être très utiles. Vous aurez peut-être besoin de faire plusieurs tentatives avant de trouver celle qui vous convient. Essayez de faire des activités et de renforcer des compétences qui vous aident à bien vous sentir sentir dans votre peau.
- Quel conseil donneriez-vous aux enfants qui se sentent embarrassés ou qui ont peur de parler de leur maladie avec d’autres?
Je comprends très bien. C’est encore mon cas. Je ressens une peur irrationnelle que quelque chose d’horrible m’arrivera à chaque fois que je veux discuter de cette partie de moi avec d’autres personnes. Jusqu’à présent, à chaque fois que je suis passé outre mes craintes et que j’ai raconté mon histoire, mon seul regret a été de ne pas l’avoir fait plus tôt. Petite remarque : il est de plus en plus facile d’en parler!
- Si vous pouviez revenir en arrière et vous parler quand vous étiez plus jeune et quand vous avez reçu votre diagnostic, que diriez-vous?
Je m’offrirais un exemplaire dédicacé d’Invisible et je me dirais : « Voilà. J’ai écrit ça pour toi. Norm te salue bien. »
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