Un jour, en 1998, Keara Maguire était assise devant sa télévision à Kelowna, en C.-B., en train de regarder les Jeux olympiques d’hiver de Nagano. Après avoir vu des patineurs de partout dans le monde faire des sprints et glisser sur la longue piste de glace, elle s’est tournée vers sa mère et lui a dit : « Je veux faire du patinage de vitesse et aller aux Jeux olympiques. » Peu de temps après cette déclaration, la mère de Keara a trouvé un club de patinage local pour sa fille. Dès lors, la vie de Keara a tourné autour de lames de patin et des échappées.
Même après avoir reçu son diagnostic de colite ulcéreuse à l’âge de 20 ans, Keara a continué de se dépasser et elle a réussi à se faire une place au sein de l’Équipe Talent 2014 du Canada. Toutefois, les difficultés reliées à la colite allaient en s’accentuant, ce qui a obligé Keara à revoir ses priorités et à se concentrer sur sa santé.
Keara se consacre maintenant à ses études en soins de santé. En 2015, elle a profité d’une bourse d’études AbbVie sur les MII. Grâce à l’expérience qu’elle a acquise en s’entraînant et en participant à des compétitions de niveau élite tout en étant atteinte d’une maladie inflammatoire de l’intestin, Keara est bien placée pour fournir de précieux conseils aux athlètes de tous niveaux qui sont atteints de la maladie de Crohn ou de la colite. Elle répond à certaines questions sur les MII et les sports ci-dessous :
De quelle manière votre diagnostic a-t-il eu un impact sur votre entraînement? Vos compétitions?
Durant un été d’entraînement, j’éprouvais des douleurs abdominales de plus en plus intenses et je devais me rendre plus souvent aux toilettes. J’ignorais ce qui se passait, mais j’essayais, du mieux que je pouvais, de demeurer forte et de simplement traverser ce moment difficile sans me plaindre. Je ne sais pas si c’est mieux ou pire de composer avec une maladie lorsqu’on est athlète d’élite. Grâce au sport et à l’entraînement, j’étais habituée à repousser mes limites malgré la douleur, à me montrer forte et à l’être, et à ne jamais me plaindre. On en tire presque un sentiment de fierté.
À un certain moment, mon corps n’a plus été capable d’en prendre et j’ai dû me rendre à l’urgence. Au moment de mon admission, on m’a évaluée et on m’a donné un diagnostic de maladie inflammatoire de l’intestin. Mon entraînement et mes compétitions ont immédiatement souffert de la première poussée active de ma maladie. Je n’étais pas au maximum de mes possibilités et j’ai dû me résoudre à manquer d’importantes semaines d’entraînement. Il était très frustrant pour moi de me rendre aux compétitions en sachant que je n’étais pas préparée de manière optimale, et que cet aspect était indépendant de ma volonté. On nous dit toujours que si nous travaillons suffisamment fort et que nous nous mettons dans l’état d’esprit pour le faire, nous pouvons accomplir n’importe quoi; cependant, la possibilité de travailler fort nous est malheureusement parfois enlevée.
Avez-vous réussi à vous entraîner et à compétitionner durant les poussées actives de votre maladie, ou avez-vous dû prendre une pause?
Selon la gravité de la poussée considérée, je me suis efforcée de continuer à m’entraîner et à compétitionner en étant malade. Certaines journées étaient plus difficiles que d’autres. Lorsque l’on a mal dormi, que l’on doit se rendre fréquemment aux toilettes et qu’il nous faut composer avec la douleur et la fatigue, on doit travailler davantage sur la motivation. Au cours de pratiquement toutes les poussées actives de ma maladie, il est arrivé un moment où j’ai dû être hospitalisée pendant quelques semaines, et je manquais donc des séances d’entraînement et des compétitions.
En tant qu’athlète, on se préoccupe réellement de l’objectif pour lequel on fournit tous les efforts possibles et on est disposé à poser des gestes extrêmes pour améliorer sa performance. Je me rappelle que pendant un certain séjour à l’hôpital, j’étais inquiète à propos de ma perte musculaire et de ma faiblesse. À intervalles réguliers, je quittais mon lit pour faire quelques flexions des jambes à vide, avec ma chemise d’hôpital, mes tubes intraveineux et tout! Après cinq flexions sans poids, j’étais endolorie, mais je sentais que je devais activer ces muscles, même si ça ne durait pas longtemps.
Y a-t-il des choses que vous pouvez faire lorsque vous ne vous sentez pas au sommet de votre bien-être pour garder la forme malgré tout?
Il y a certaines choses que l’on peut faire. Je les vois comme une manière d’atténuer les problèmes « non reliés à l’intestin ». Je ne sais pas le degré de l’impact que peut avoir un régime alimentaire particulier sur l’évolution de la maladie, mais un régime alimentaire donné peut avoir une incidence sur plusieurs autres choses. J’essaie de garder le cap sur des choix de vie simples : miser sur une alimentation équilibrée, m’hydrater adéquatement en tout temps, prendre toutes vitamines ou tous minéraux recommandés par mon médecin, me soumettre à des analyses sanguines régulières et éviter les choses qui ne sont pas idéales pour la santé de quiconque, par exemple l’alcool.
J’ai toujours cherché à demeurer aussi active que possible, dans la mesure où mon corps me le permet, et ce, peu importe la gravité de mon état de santé. Tantôt, cela signifie marcher sur une distance de 10 mètres; tantôt, cela consiste à faire une ballade de quatre heures en vélo. Mais peu importe l’activité à laquelle je me livre, elle est toujours fonction de la manière dont je me sens. Je tente toujours de faire le maximum possible, car cela a de nombreux effets positifs sur le cœur, les poumons, les os, les articulations, etc. À mon avis, si un de mes organes ne va pas bien, pourquoi en serait-il de même pour tous les autres? De plus, je crois fermement qu’une poussée régulière d’endorphines est salutaire pour les patients atteints de MII. Souvent, les personnes aux prises avec une MII combattent également l’anxiété ou la dépression, et j’ai découvert que l’exercice constituait une des manières de contrer ces dernières. Chaque petit geste compte.
Outre les inconvénients physiques évidents de la colite ulcéreuse, des éléments d’ordre mental reliés à la maladie ont-ils eu une incidence sur votre entraînement ou vos compétitions?
En rétrospective, les effets d’ordre mental reliés à la MII, plus particulièrement au cours des premières années ayant suivi mon diagnostic, ont été énormes. Je ne le réalisais pas, à ce moment-là, ma perspective était très étroite et je vivais un jour à la fois. Je ne me reconnaissais plus et je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. L’anxiété et la dépression ont vraiment été les aspects négatifs les plus importants pour moi. Je ne savais jamais d’avance si je pourrais utiliser des toilettes dans les endroits où je me rendais, j’ignorais à quel moment la douleur commencerait ou arrêterait, je ne savais pas si j’aurais suffisamment d’énergie pour honorer mes engagements. La dépression, dans mon cas, est venue un peu plus tard, alors que j’ai commencé à réaliser que je ne pouvais être la personne à laquelle je m’étais toujours identifiée.
Je m’étais toujours enorgueillie d’avoir une excellente éthique de travail, de l’endurance et une grande force mentale, mais j’ai réalisé que toutes ces qualités avaient leurs limites, et que cela n’avait rien à voir avec un manque de volonté de ma part. J’ai eu de la difficulté à me faire à cette prise de conscience, car j’avais l’impression d’être emprisonnée dans un corps qui n’était pas mien.
Comment avez-vous accepté le fait que vos rêves olympiques ne se réaliseraient pas?
J’ai fini par me faire à l’idée que je ne deviendrais jamais une olympienne en découvrant de nouvelles passions. En fait, ma transition hors du monde du sport n’a pas été des plus négatives.
Parfois, je me dis que s’entraîner en étant atteint d’une MII, c’est comme faire de la course de vitesse avec un parachute – cela met une petite résistance supplémentaire, qui peut vous rendre plus fort. Toutefois, alors que ma colite s’aggravait, j’avais l’impression de courir avec un parachute tout en trébuchant et, parfois, en tombant. Cela a fini par devenir un défi insurmontable, peu importe le travail que j’y mettais, ce qui était vraiment frustrant.
À ce moment, j’ai découvert que je m’intéressais aux cours de science à l’école. J’ai réalisé que j’aimais vraiment apprendre, et j’étais vraiment avide de comprendre comment le monde fonctionnait. J’ai réalisé que les rêves que je nourrissais pour mon avenir allaient au-delà du patinage de vitesse et des Olympiques. J’ai commencé à m’imaginer dans des salles de classe et dans des laboratoires, je me voyais travailler dans un hôpital. Je me sentais plus inspirée par les travailleurs de la santé qui m’avaient sauvée que par les superstars du sport. Cela s’est fait au fil du temps, j’ai décroché. Je me sens moins frustrée de ne plus être l’athlète déterminée que je pensais être, et je suis fière de la personne que je suis devenue grâce aux diverses expériences que j’ai vécues.
Comment la bourse d’études sur les MII que vous avez obtenue en 2015 vous a-t-elle aidée?
La bourse d’études sur les MII m’a énormément aidée et elle est vraiment arrivée à point nommé. La poussée active la plus récente que je venais de vivre m’avait amenée à abandonner l’école, car elle avait entraîné quatre opérations successives. Durant tout ce temps, je n’étais pas en classe, il m’était impossible de garder le rythme du travail et mes finances ne se portaient pas aussi bien que d’habitude. La bourse d’études m’a vraiment sauvé la vie : elle m’a permis de me sortir de ce mauvais pas et de retourner sur les bancs d’école. Merci!
Keara Maguire est actuellement à la moitié de son stage à l’Hôpital St. Paul de Vancouver, son objectif étant de faire carrière en inhalothérapie.