« Meeting of the Minds » est une conférence annuelle de cliniciens et de chercheurs de classe mondiale spécialisés sur les maladies inflammatoires de l’intestin (MII), principalement originaires du Canada. La première journée, intitulée « Mentoring in IBD XXIII », s’adressait principalement aux gastro-entérologues et aux infirmières qui cherchaient à se tenir au fait des pratiques les plus avancées et fondées sur des données probantes en matière de soins des MII. Le deuxième jour, intitulé « Canada Future Directions in IBD » a permis de présenter les dernières avancées de la recherche qui continuent de révolutionner notre compréhension des MII.
Voici le point de vue de Peter Dobranowski, patient, bénévole et chercheur en formation.
Introduction
Mon parcours avec la maladie de Crohn a commencé quand j’avais 15 ans; trois ans plus tard, j’ai connu ma pire poussée. Je devais utiliser les toilettes environ 20 fois pendant mes examens et je me souviens encore de la peur que je ressentais chaque fois que je demandais à un surveillant de m’y accompagner. Finalement, incapable de me concentrer pleinement pendant les cours ou les examens, et sans espoir de terminer mes études, j’ai abandonné mon programme. Au pirede moi-même, je me sentais seul et sans espoir, jusqu’à ce qu’un médicament miraculeux ne me place sur la voie de la rémission.
Depuis, j’ai pu mettre à profit ma bonne santé pour terminer mon baccalauréat en nutrition et une maîtrise sur le microbiome des maladies inflammatoires de l’intestin (MII). Je travaille actuellement sur mon doctorat et développe de nouveaux traitements pour les MII. J’ai également passé du temps à l’extérieur du laboratoire pour travailler au sein de la communauté des personnes vivant avec une MII, grâce à Crohn et Colite Canada, à la « Invisible Conditions Conference » et en travaillant comme chercheur sur l'engagement des patients. Plus précisément, en travaillant en étroite collaboration avec Crohn et Colite Canada, j’ai été en mesure d’animer des réunions de soutien en tant que président de chapitre, de conseiller l’organisation d’un point de vue bénévole, d’aider à diriger des événements pédagogiques pour les jeunes adultes et d’assister à la conférence axée sur les MII, « Meeting of the Minds ». Au cours de mes huit années de bénévolat avec eux, j’ai vu la naissance de nouveaux programmes permettant aux étudiants atteints d’une MII de passer des examens en bénéficiant d’un accès à des toilettes privées, des groupes de soutien nationaux pour se sentir moins seuls et de nouveaux traitements émergeants qui ont fait des miracles pour les autres. J’ai également rencontré d’innombrables personnes atteintes d’une MII qui ont surmonté tant de choses et qui continuent de me motiver à étudier ces maladies. Dans cette perspective, je suis heureux de partager avec vous quelques éléments que j’ai appris lors de la conférence « Meeting of the Minds » 2022.
Aperçu de la conférence
C’était la première fois que j’assistais à la conférence « Meeting of the Minds ». C’était surréaliste de s’asseoir dans une pièce avec des centaines de médecins et d’infirmières qui s’occupent de personnes atteintes d’une MII. Pendant les deux jours, les conférences ont abordé des concepts de haut niveau que toute personne atteinte d’une MII pourrait apprécier, avant d’approfondir les contradictions qui émergent inévitablement lorsqu’on étudie une maladie complexe. Je suis reconnaissant à Crohn et Colite Canada et à ses commanditaires pour leur soutien à cet événement, qui a sans aucun doute semé des idées qui se transformeront en nouvelles connaissances. Je souhaite ici me concentrer sur les progrès des soins en matière de santé mentale, la compréhension des causes des MII et les nouveaux traitements.
La santé mentale
La docteure Lesley Graff, professeure à l’Université du Manitoba, a commencé les exposés en parlant de la prise en charge de la santé mentale et des MII. Elle a inauguré la séance en exprimant sa gratitude de voir la santé mentale priorisée lors de la conférence. Je pense que c’était une déclaration importante qui devait être faite de manière explicite, vu le profond ancrage de la santé mentale dans l’expérience des MII. La honte, l’isolement et le désespoir sont des sentiments que personne ne devrait ressentir pendant son parcours avec une MII. En décrivant la santé mentale et la résilience comme des aspects centraux de la santé globale, elle a signalé qu’environ 2/3 des patients atteints d’une MII souffrent d’un trouble anxieux non diagnostiqué, en partie parce que les cliniciens estiment souvent qu’ils interrogent suffisamment leurs patients à propos de leur santé mentale; ce n’est cependant pas l’avis des patients. Cette statistique s’aligne avec ce que j’aurais deviné, compte tenu des histoires que j’ai entendues de la part de mes pairs. Puis, dans une salle remplie de cliniciens, elle a lancé un appel : « Vous êtes en mesure d’aborder de manière proactive la santé mentale. » Je pouvais imaginer mes pairs l’encourager s’ils avaient été assis dans la pièce avec moi. Un peu plus tard, elle a plaidé pour que les patients s’adressent aux sections de Crohn et Colite Canada « pour se sentir moins seuls ». Cette déclaration m’a rempli d’émotion. Depuis ma première réunion de chapitre en 2014, j’ai noué certaines des meilleures relations de ma vie. Alors que nous partageons un diagnostic, nous partageons également des rires et des pleurs chaque fois que quelqu’un annonce sa dernière rémission révélée par coloscopie. Je garde toujours le souvenir d’une collègue bénévole déclarant qu’elle a l’impression que « nous sommes une famille ». Ainsi, entendre l’un des meilleurs chercheurs en santé mentale au Canada défendre les sections de Crohn et Colite Canada dans une salle remplie de cliniciens était tout simplement électrisant.
Les causes des MII
Le deuxième jour de la réunion, les docteurs Ken Croitoru, Mike Surette et Eytan Wine ont tour à tour exploré les mécanismes hôtes et microbiens qui sous-tendent les MII. Depuis que j’ai reçu un diagnostic de MII, l’idée que l’alimentation et le microbiome sont d’importants moteurs et protecteurs de la maladie a été plus qu’une simple « intuition » - c’est ce qui m’a poussé vers la recherche. Le docteur Croitoru (professeur, Université de Toronto) a pris la parole au nom du docteur Raja Atreya, soulignant les rôles intriqués des facteurs immunitaires, microbiens et génétiques dans la médiation de la maladie. Je ne peux pas exagérer la complexité des causes des MII, mais son travail à la tête du projet GEM (Genetic Environmental Microbial) cherche à révéler des indices importants. De même, le docteur Surette (professeur à l’Université McMaster) et le docteur Wine (professeur associé à l’Université de l’Alberta) ont tous deux partagé des connaissances fascinantes d’un point de vue microbiologique. Entre les deux, ils ont commenté le rôle de microbes spécifiques dans l’encouragement de l’inflammation. Par exemple, un microbe peut exercer un effet utile ou nocif en fonction des sous-produits naturels dans lesquels il nage dans nos intestins, qui peuvent être affectés par notre alimentation. Bien que ces découvertes puissent conduire à de nouveaux traitements, le docteur Surette a fait remarquer : « Nous ne voyons probablement que la partie visible de l’iceberg de notre compréhension [des microbes et des MII] ». Étant donné qu’aucun traitement actuel contre les MII ne cible le microbiome (à l’exception des greffes de microbiome fécal), cela restera un domaine de recherche intense.
Nouveaux traitements
La dernière conférencière que je souhaite mentionner est la docteure Megan Levings (professeure à l’Université de la Colombie-Britannique). La docteure Levings et son équipe travaillent à l’introduction des cellules qui fonctionnent comme « des médicaments vivants » pour le traitement des MII. Cette modalité consiste à enseigner à de puissantes cellules immunitaires anti-inflammatoires à se concentrer sur les sites d’inflammation, à éteindre ces derniers et à activer la réparation des tissus. Bien que les données préliminaires semblent prometteuses, un défi majeur est que le système de santé canadien ne possède pas encore l’infrastructure pour y travailler à grande échelle. Dans le même ordre d’idées, le docteur Jens Vent-Schmidt a mené une enquête à laquelle j’ai participé il y a quelques années, qui a révélé que la plupart des patients atteints d’une MII seraient prêts à essayer ce type de thérapie, mais pas tous. J’ai connu de nombreuses personnes qui ont choisi de traiter leur MII naturellement sans médicaments. En règle générale, ils en ont assez d’essayer des médicaments qui ne fonctionnent pas pour eux, tout en souffrant de nouveaux effets secondaires à chaque fois. Le développement de nouvelles thérapies comme celle-ci offre aux patients qui ont perdu espoir une chance d’améliorer leur qualité de vie.
J’ai pu discuter avec les docteurs. Harry Brumer et Laura Sly, (UBC), qui sont des chercheurs financés par Crohn et Colite Canada, et qui développent une autre nouvelle technologie médicale. Ensemble, ils étudient la plateforme « GlycoCage », qui peut délivrer des médicaments directement dans l’intestin. Certains sont très efficaces pour traiter les MII, mais les doses sont choisies selon la gravité de leurs effets secondaires. En minimisant l’absorption non spécifique (et donc les effets secondaires), GlycoCage permet d’utiliser des concentrations de médicament plus élevées pour cibler l’inflammation. Encore une fois, j’ai hâte de voir ces thérapies incroyables et créatives aider les patients pour qui les médicaments traditionnels échouent.
Remarques finales
Sur une note personnelle, mon plus grand défi en vivant avec une MII est la perspective du retour de la maladie. J’ai eu le privilège de terminer une formation supérieure et de chérir une bonne santé pendant longtemps. Pourtant, mon expérience de la maladie m’a laissé dans un état d’hypervigilance. De petites crampes que je ressens tout au long de la journée me poussent à me demander : « Est-ce aujourd’hui le grand jour? » Disposer d’un éventail plus larges d’options de traitement signifie avoir une plus grande assurance que si cela se produit, je peux repousser la maladie en rémission.
On ne sert pas souvent la main de ses héros. Il est aussi rare de pouvoir contempler la frontière des connaissances sur une maladie qui vous affecte personnellement ainsi que d’innombrables amis au pays. Il est important de noter que faire avancer cette frontière du savoir est une entreprise de collaboration massive, motivée par les efforts inlassables d’équipes de scientifiques et alimentée par les fonds recueillis par des bénévoles partout au pays.
Pour faire écho aux commentaires de clôture du docteur Remo Panaccione (professeur à l’Université de Calgary), la camaraderie et l’amitié que j’ai observées dans la communauté canadienne des chercheurs sur les MII sont tout simplement incroyables. J’élargirais également cet émerveillement à la communauté des patients et des bénévoles!